En Amérique du Nord, l’orthophonie est aux premiers rangs d’un ensemble de professions qui se sont d’abord construites au 20e siècle dans le secteur de la santé et qui n’ont investi le milieu scolaire que tardivement, principalement dans les 25 dernières années. La place que les orthophonistes occupent à l’école est donc le résultat d’un changement, auxquel elles ont participé activement. Ce changement est d’ailleurs toujours en cours, comme l’a montré le récent épisode des négociations syndicales dans le secteur public.
Non seulement le champ de la difficulté scolaire évolue, mais les orthophonistes ne jouent pas toujours le même rôle dans cette évolution, selon les époques. Dans les années 1960 et 1970, les « orthophonistes scolaires » sont rares et l’école apparaît parfois comme une espèce de rêve, de continent à conquérir pour refonder la profession. Le relatif vide d’expertise que le milieu scolaire s’impose à lui-même encourage alors cette ambition. Après 1990, le rêve devient en quelque sorte réalité. De 1990 à 2010, les orthophonistes, un peu comme les psychologues, se taillent une place en participant à l’implantation de grilles plus médicalisantes et à la rapide pathologisation de la difficulté scolaire.
Depuis 2010, l’orthophonie est mieux installée et se permet des attitudes plus nuancées. Elle est aidée en cela par une variété de facteurs, dont la mise en œuvre de la loi 21 et l’évolution rapide des « politiques de l’expertise » en milieu scolaire. Le rôle que joueront les orthophonistes dans l’avenir de la difficulté scolaire reste toutefois imprévible en raison de variables difficiles à prévoir, qui incluent des choix politiques et le rôle de l’emploi privé dans l’économie de la profession.
Julien Prud’homme
est Professeur adjoint au Département des sciences humaines de l’Université du Québec à Trois-Rivières. Il est spécialiste de l’histoire de l’expertise dans les secteurs de la santé, de l’éducation et de la production économique aux 20e et 21e siècles.
est Professeur adjoint au Département des sciences humaines de l’Université du Québec à Trois-Rivières. Il est spécialiste de l’histoire de l’expertise dans les secteurs de la santé, de l’éducation et de la production économique aux 20e et 21e siècles.
Dans le cadre de ses projets sur l’essor des métiers experts et leur impact sur les hiérarchies sociales, les rapports de pouvoir et les politiques publiques, il s’est intéressé notamment à l’histoire de la professionnalisation de l’orthophonie jusqu’au début du 21e siècle (voir par exemple l’ouvrage « Professions à part entière: histoire des ergothérapeutes, orthophonistes, physiothérapeutes, psychologues et travailleuses sociales au Québec » (Prud’homme, J. 2011)).
Ses travaux en cours portent sur la médicalisation des enfants à travers une histoire des difficultés scolaires, de l’autisme et de la déficience intellectuelle. Ses activités d’enseignement couvrent l’histoire générale du Québec et du Canada, l’histoire des sciences, de la santé et de l’éducation, ainsi que l’épistémologie des sciences sociales.